Être égoïste, c’est être soi-même ?

Les considérations qui précèdent semblent suggérer de préférer le bien à l’égoïsme. Mais il convient d’abord de savoir de quoi on parle : « qu’est-ce que l’égoïsme ? », et « qu’est-ce que le bien ? »

Egoïsme : « attachement excessif à soi-même qui fait que l’on recherche exclusivement son propre plaisir, son intérêt personnel » (Robert)

A priori, ce n’est pas à une personne ou à un objet, que l’on est attaché, c’est à une situation. Par « attachement à une personne » on signifie implicitement attachement à son existence ou à sa proximité (qui sont des situations). La proximité de soi-même étant acquise, l’attachement à soi devrait signifier que l’on est attaché à sa propre survie. Le début de cette définition n’est donc pas très satisfaisant, d’autant que l’adjectif « excessif » est très subjectif : « excessif » par rapport à quoi ? au nom de quelle morale ?

D’ailleurs, souvent, dans la pensée de tous les jours, seule la fin de cette définition est retenue : est considéré comme égoïste, celui qui recherche son plaisir ou son intérêt personnel.

Faire le bien inspiré par l’amour dont serait donc égoïste puisque cela correspond à notre propre bonheur (qui est finalement notre intérêt personnel…) ! Si l’égoïsme est compris dans ce sens, il faut être clair : soyons égoïstes ! Toute l’affaire consisterait à l’être intelligemment : à déterminer correctement ce qui est notre intérêt personnel.

Or, le mot égoïsme est connoté péjorativement. Il en résulte donc que servir son intérêt n’est pas « bien », et que a contrario, il est bien vu de se sacrifier… de souffrir pour satisfaire un éventuel intérêt d’autrui. La conjonction de cette définition et de cette connotation est très dommageable : elle éloigne l’homme de son propre bonheur par souci de son image, ou bien le pousse à l’hédonisme primaire par souci de son bonheur ; elle induit des perversions comme le martyrisme (« exemple : après tout ce que j’ai fait pour toi… ») ou maintient dans l’illusion que celui qui ne nous aide pas est fautif (« exemple: tu ne penses qu’à ton intérêt ! »)…

Arrêtons le massacre en proclamant haut et fort cette vérité : l’intérêt de chacun, loin de s’opposer à celui des autres, y contribue… à condition toutefois de l’avoir intelligemment déterminé ; à condition qu’il se traduise par à ce bien-être profond et durable qu’est la félicité, et non pas par une gratification immédiate source d’insatisfactions ultérieures. Le problème ne serait donc pas l’égoïsme mais la bêtise…
Inversement, mon mal-être tend à faire celui des autres… car le mal-être comme le bien-être tendent à se transmettre directement.

Le Larousse ajoute cependant une précision salvatrice (tout en restant dans l’illusion que nous dénonçons ici) :
Egoïsme : « attachement excessif qu’une personne porte à elle-même, à ses intérêts, au dépend de ceux des autres ».
Ainsi, pour qu’il y ait égoïsme, il faut que j’agisse au dépend de l’intérêt d’autrui. Donc, aimer (au sens de bienveillance) ne serait plus égoïste, au contraire.
Mais le « des autres » reste vague. Par exemple, si je sauve des juifs, j’agis au dépend de l’intérêt des nazis… je serais donc égoïste : je satisferais ma petite compassion personnelle au lieu de l’intérêt national ! Le concept semble donc très relatif. On reste dans l’idée d’une opposition entre son intérêt et celui des autres, entre égoïsme et altruisme. Chacun est là avec son « intérêt », et reproche aux autres de servir le leur lorsqu’ils ne servent pas le sien.
Or, une éthique qui prêche l’altruisme est peu efficace, car il n’est pas dans notre nature de nous sacrifier pour le premier venu.

La question pertinente n’est donc pas « faut-il être égoïste ou faire le bien ? », mais : « qu’est-ce que le bien ? ». Elle n’est pas « faut-il servir son intérêt ou celui des autres ? » mais uniquement : « quel est mon intérêt ? »

Une définition plus satisfaisante du mot égoïsme, en accord avec sa connotation, pourrait être : « tendance à poursuivre des objectifs incompatibles avec ceux d’autrui ». Cette incompatibilité définissant l’état de concurrence. Car si, quoi que je fasse, je pourrais toujours trouver une personne dont l’objectif est incompatible avec le mien, il est des objectifs, qui, par nature, nous opposent. Ainsi, la quête de la notoriété, de la richesse matérielle, du pouvoir, du plaisir immédiat par consommation de « biens » et « services », de tout ce qui ne peut être partagé indéfiniment, génère la nuisance mutuelle (entre les personnes ayant la même quête) et donc la rivalité.
Or, il y a effectivement des penchants en nous qui entraînent la concurrence. Plutôt que parler d’égoïsme, il serait plus judicieux de parler d’avidité, par exemple, ou de dépendance… qui sont les causes objectives de la concurrence.

Si l’amour nous réunit, la dépendance nous oppose. L’amour vient d’un bonheur et le répand. La dépendance vient d’un malheur et le répand.

L’égoïsme, dans ce « mauvais » sens du terme, est typique de l’hédonisme primaire, qui est l’éthique dominante de l’humanité.
Ethique dominante y compris dans les milieux religieux et moralistes du passé, d’ailleurs. Car en effet, la morale est généralement plus proclamée que pratiquée. Pratiquée en public, afin de gagner l’estime d’autrui, ou d’échapper à la honte ou à la réprobation, mais pas en privé…

L’hédonisme primaire est l’éthique pratiquée de fait (même si elle n’est pas toujours reconnue comme telle verbalement).
La félicité réside dans la façon d’être, l’illusion réside dans l’avoir : avoir une belle maison, une belle famille, un bon métier, une bonne image de soi, un beau corps, un bon karma, son salut etc…
Les concepts fallacieux d’égoïsme et d’intérêt font croire que le principal problème est l’attachement à soi (qui est une absurdité), alors que c’est l’attachement à ce que l’on a ou voudrait avoir. Ce que l’on devrait dénoncer n’est pas l’égoïsme : se soucier de soi est salutaire, mais bien la possessivité et l’avidité, la dépendance au non-soi.

Ce que Eric Fromm appelle « le mode avoir » :

« Le mode être ne peut apparaître que dans la mesure où nous faisons décroître le mode avoir (qui est le non-être), c’est-à-dire dans la mesure où nous cessons de trouver notre sécurité et notre identité en nous accrochant à ce que nous avons (…)
Mais la plupart des gens estiment qu’il est trop difficile d’abandonner leur orientation « avoir »; toute tentative dans ce sens éveille chez eux une angoisse intense, et ils ont l’impression de n’être plus du tout en sécurité, comme si, ne sachant pas nager, ils étaient précipités dans l’océan. Ils ne savent pas qu’à partir du moment où ils ont renoncé à la béquille de la propriété, ils peuvent commencer à se servir de leurs propres forces et se mettre à marcher tout seuls. »

Voilà mon point de vue sur la question de l’égoïsme. Je vous dis à bientôt les winner et bon confinement à vous.. ❤️💋🙏

Publié par Milia Boush

😇Quand le corps et l'esprit ne font qu'un😇

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